Le 18 mai 1871, Arthur Rimbaud âgé de 16 ans, envoyait une lettre à son ancien professeur Georges Izambard. Dans cette lettre figurait un poème : « Le cœur supplicié ». Il le reproduit un mois plus tard dans une autre lettre (adressée à Paul Domeny) sous le titre « Le Cœur du pitre ».
Je suis tombé en arrêt devant. Quasi incompréhensible à la première lecture, les mots simples ont un double sens, les mots compliqués cachent les clés, les mots inventés ouvrent les portes, le tout est à la fois trivial et extrêmement violent (violant ?).
Cette écriture incroyable, qui arrive à planter un décor, avant même d’arriver à révéler ce que Rimbaud veut dire, tout en se cachant, m’a scotché. Un poème qui semble anodin, qui révèle un drame, qu’il soit allégorique ou factuel, quelle alchimie pour un tout jeune homme !
La lettre à Izambard se terminait par ces quelques mots : « Ça ne veut pas rien dire. Répondez moi ! »
Pour le mettre en musique, j’ai préféré retenir le texte légèrement modifié, retranscrit par Verlaine sous le titre « Le Coeur volé » et publié en 1886, du vivant de Rimbaud donc.
Poème : Arthur Rimbaud / Musique : Hervé Bargy
Invité : Gérald Renard à la guitare.
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur couvert de caporalIls y lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire général,
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur couvert de caporal !
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l’ont dépravé !
Au gouvernail on voit des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques.
Ô flots abracadabrantesques
Prenez mon cœur, qu’il soit lavé !
Ithyphalliques et pioupiesquesLeurs quolibets l’ont dépravé !
Quand ils auront tari leurs chiques,
Ce seront des hoquets bachiquesQuand ils auront tari leurs chiques :
J’aurai des sursauts stomachiques,
Moi, si mon cœur est ravalé :
Quand ils auront tari leurs chiques
Comment agir, ô cœur volé ?